un pauvre petit chien
Le chien tremblait, comme s'il avait su. Il refusait d'avancer. l'homme tirait sur la corde.
- je vais finir par l'étrangler, si je tire tant, se dit-il.
La remarque était superflue car, de toute façon, il allait tuer le chien. Il tenait dans sa main droite un gros pavé. A quelques mètres, le fleuve dans la nuit des eaux noires. Au-dessus, un grand pont cachait une lune pâle, délimitant sur la berge un carré d'ombre.
- mon pauvre vieux, dit l'homme.
et il attacha solidement le pavé à un bout de la corde. A l'autre bout était le chien, qui le regardait avec de grands yeux désespérés.
- mon pauvre vieux, redit l'homme.
la pluie se mit à tomber sur le quai désert. Le chien mouillé tremblait.
L'homme se baissant, prit l'animal sous son bras gauche. Il se dirigea vers le fleuve.
- un…., deux…., compta-t-il !
- non !
c'était un hurlement. L'homme se retourna. Derrière lui, des talons claquaient sur les pavés de la berge. Une femme courait. Elle criait :
- non ! non !
l'homme posa le chien et le pavé.
- oh pardon ! je ne vous avais pas vue.
Elle haletait :
- pourquoi voulez-vous faire ça ?
- ce chien me suit et je ne peux pas le nourrir.
- ce n'est pas une raison pour le jeter à l'eau !
- ben ! ….il me suit, vous comprenez ?
- Donnez-le-moi !
- mais il me suit !
- combien en voulez-vous ?
- rien ! je vous dis qu'il me suit !
- je vous l'achète, dit la femme.
Elle ouvrit son sac et lui tendit un billet. Elle prit le chien et le serra dans ses bras.
- attendez ! dit l'homme, attendez que je coupe la ficelle.
Et il regarda s'éloigner la femme, qui tenait toujours le chien dans ses bras. Il lui sembla qu'elle pleurait. Il haussa les épaules. Dans l'ombre, une ombre s'approchait de lui.
- je ne comprends rien à votre combine, dit l'homme, mais ça a marché. Elle m'a donné deux cents francs.
- gardez-les ! je vous en avais promis cinq cents. Les voici.
- merci ! je ne suis pas curieux, mais vous pourriez m'expliquer ?
- c'est simple. Elle croit avoir sauvé une vie. Et elle ne se suicidera pas.